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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/53

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point : vous me pardonnerez de vous aimer moins lorsque je vous prouverai qu’on vous admirera davantage. Vraiment vous me faites une singulière question : a-t-il de meilleures raisons que moi pour cette absence ? Ah ! oui, il en a de meilleures : il en a une absolue, et telle, que s’il vient à la vaincre, le sacrifice de ma vie ne pourrait pas m’acquitter. Toutes les circonstances, tous les événements, toutes les raisons morales et physiques sont contre moi ; mais il est si fort pour moi, qu’il ne me permet pas d’avoir un doute sur son retour. Cependant, je frémis de ce que je peux apprendre mercredi : il a craché le sang ; il a été saigné deux fois ; au moment du départ du courrier, il était bien : mais l’hémorragie a pu recommencer ; le moyen de se calmer avec cette pensée ? lui-même en craignait la suite : quoiqu’il ait pensé à me rassurer, j’ai vu sa crainte. À présent, dites-moi si vous ne savez pas de qui je vous parle, et dites-moi mieux encore, c’est que vous l’avez su lorsque je vous ai écrit pour vous demander le Connétable ? Est-ce de la délicatesse ou de la finesse qui fait que vous avez paru ignorer un nom que je vous taisais ? Mais je ne vous parle pas de votre voyage : c’est que précisément je n’ai jamais rien à vous en dire, puisque vous-même vous n’êtes pas encore décidé. Si je pouvais croire que je vivrai, et que vous n’irez jamais en Russie, je désirerais vivement que vous fussiez retenu à Berlin ; mais, comme je crois que vous aurez toujours le besoin de faire des choses difficiles, je voudrais que, puisque vous voilà en train, vous fissiez le tour du monde, pour que cela fût fait ; et puis, peut-on se reposer un moment dans l’avenir ? à peine serez-vous de retour que vous partirez pour Montauban, et après, ce seront d’autres projets : car vous ne souffrez le