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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/79

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ligible. Enfin les applaudissements qu’on donne à cela m’avaient réellement attristée l’autre jour. Cela est fait pour décourager le talent.



LETTRE XIV

Dimanche, 15 août 1773.

Mon Dieu ! écoutez-moi ; et une fois pour toutes, croyez que je ne puis pas avoir tort avec vous, et vous savez bien pourquoi je ne puis pas avoir de tort. Je n’ai donc point eu de négligence, puisque, depuis le 3 juillet, voilà ma cinquième lettre, le 15, le 26, le 1er août, le 6 ou le 7, et aujourd’hui. Je n’entends pas pourquoi le 3 vous n’aviez pas ma lettre du 15. Je ne puis pas me faire aux irrégularités de la poste : elles font le tourment de ma vie ; mais vous m’étonnez, vous, d’y mettre autant d’importance. Comment donc votre âme peut-elle suffire à tout ? je ne fais qu’une seule chose, et j’en meurs de fatigue et de douleur : cette citation des regrets de ce père, à propos de mes lettres, est bien charmante. Est-ce avec de l’esprit qu’on pénètre si avant dans une âme sensible ? non, votre esprit me plairait, mais il ne me toucherait pas. Comment avez-vous pu penser que j’aie formé le projet de vous inquiéter ? Eh, bon Dieu ! où aurais-je trouvé cette sotte confiance ? Vous punir ? et de quoi ? En supposant, ce qui n’est assurément pas, que je fusse mécontente de votre amitié, est-ce que je serais en droit de me plaindre ? et ne serait-ce pas le comble de l’impertinence d’aller imaginer que