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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/81

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l’âme ! je vous réponds que vous ne prodigueriez pas, comme vous le faites, votre sommeil et vos forces. Je vous parle là une langue bien triviale, mais c’est celle de l’amitié. Remarquez que les personnes qui aiment à plaire ne disent pas un mot de tout cela. Le ton de l’intérêt est sans grâce, il est pesant, il se répète ; mais il n’ennuie pas lorsqu’on le sent pour quelqu’un qui le mérite si bien. En effet, il ne tiendrait qu’à moi de croire que l’inquiétude où vous étiez lorsque vous m’avez écrit, troublait un peu votre jugement : vous me pressez de vous écrire, sans me dire où il faut adresser ma lettre. Je sais que vous n’êtes plus à Vienne depuis le 12 au plus tard, et cependant je vous y écris cela n’a pas le sens commun. Ce qui, je crois, ne l’a pas davantage, c’est de vous avoir écrit à Breslau : mais pourquoi donc, lorsqu’on fait le tour du monde, conserver le besoin d’entendre parler de ses amis ? Ah ! oui, vous êtes bien inconséquent ! en vérité, il y a des moments où je me sens si lasse, que je suis toute prête à vous laisser en chemin. Je suis si malade, je suis si triste, qu’il me semble que ce serait vous servir que de me laisser tout à fait oublier. Plus vous avez de bonté, plus vous êtes sensible, et plus j’ose vous répondre que vous vous repentirez souvent de vous être livré trop vite à une liaison, dont tout l’avantage devait être pour moi. — Il y a un article dans votre lettre, sur lequel mes yeux ne pouvaient s’arrêter, et mon âme semblait s’y attacher. Mon Dieu ! quel mot vous me prononcez ! mon sang se glace ; non, non, mon âme ne chercherait plus la vôtre. Ah ! cette pensée me fait mourir ! Soyez ma consolation ; calmez, s’il est possible, le trouble de mon âme : mais gardez-vous de penser que je pusse survivre un instant à un