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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/82

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malheur dont la seule crainte remplit ma vie d’un effroi qui a détruit ma santé, et qui trouble sans cesse ma raison. Adieu ; je ne saurais continuer : je me sens le cœur serré ; si je puis me distraire, je reprendrai : car j’ai à me justifier et à vous demander pardon, quoique je ne sois pas coupable.


Toujours Dimanche.

J’ai été tentée de vous avertir que j’avais dit cette phrase sur le roi de Prusse, qui était charmante, et que je crus pouvoir répéter sans inconvénient. Elle fut trouvée comme elle est, et elle fut répétée tant et tant, qu’elle alla jusqu’à madame Du Deffand, qui la trouva très mauvaise, qui la retourna, qui la commenta, et qui éprouva sur son avis mille contradictions. Enfin, elle finit par dire que, quand vous auriez fait Athalie avec le Connétable, cela ne l’empêcherait pas de trouver le fond et la forme de cette pensée détestables. À quelques jours de là, elle en parla à l’ambassadeur de Naples sur le même ton ; cela l’impatienta, et il lui dit que lorsqu’on voulait critiquer, il fallait au moins citer de bonne foi, et qu’en changeant les termes de cette phrase, il trouvait encore sa critique aussi sévère qu’injuste. Madame de Luxembourg, madame de Beauveau, devant qui cela se passait, et qui étaient contre madame Du Deffand, demandèrent à l’ambassadeur s’il pourrait avoir une copie de cette phrase : il la leur promit ; il vint me conter toute cette sotte dispute, et j’avoue que le plaisir de confondre madame Du Deffand me fit céder à la prière de l’ambassadeur : je lui fis copier ces