Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conçois pas la raison : car ce sont mes amis qui ont été chargés de remettre mes lettres à la grande poste. M. d’Alembert a reçu hier votre lettre du 6. Je me suis chargée de vous répondre, et je ne vous dirai jamais à quel point je suis fâchée et bien aise de vous avoir donné de l’inquiétude ; si j’avais tort, je serais désolée. Mais pourquoi donc avez-vous renoncé à aller dans le Nord ? Je ne puis pas croire que ce soit uniquement pour abréger le temps de votre voyage : à qui donc faites-vous le sacrifice de la Suède ! Si on l’a exigé, vous êtes content : le mouvement de cette personne vous a déjà payé. Enfin, si votre retour est avancé, j’aime la personne ou la chose qui en est cause : mais l’année prochaine, il faudra encore aller en Russie ; et puis, ne faudra-t-il pas tout à l’heure aller à Montauban ? et puis les campagnes, et puis celle où vous trouverez le plaisir et où vous chercherez le bonheur, et puis, et puis : mais n’importe ; tout cela vaut mieux que la Suède ; et je ne sais, quelque chose me dit que je ne dois pas m’inquiéter de ce qui arrivera l’année prochaine ; comme vous le disiez, on a le temps de mourir cent fois. Mais pourquoi n’est-ce pas à moi que vous avez dit que vous abrégiez votre voyage ? je l’aurais su un jour plus tôt. Vous m’avez fait un reproche : j’ai envie de vous le rendre. Est-ce vous qui êtes coupable de ce que me mande le chevalier de Chatelux ? Il prétend que je vous aime beaucoup. Comment le sait-il ? je n’ai mis que vous et celui à qui je dis tout dans mon secret ; lui auriez-vous écrit ? Si cela était, j’aurais à vous remercier et à me plaindre.

M. d’Alembert est dans ce moment-ci chez Mme Geoffrin. Je ne doute pas qu’elle ne se fasse un plaisir d’écrire au roi de Pologne. Savez-vous bien qu’on