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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/84

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vie que par un point : s’il venait à m’échapper, je mourrais. D’après cette disposition intime, profonde et permanente, vous croirez sans peine que tout est anéanti pour moi. Je ne sais par quelle fatalité ou par quel bonheur j’ai été susceptible d’une affection nouvelle : en me recherchant, je n’en saurais trouver, ni expliquer la cause ; mais quelle qu’elle soit, ses effets mettent de la douceur dans la vie. Il me paraît inouï que mon malheur ait pu vous intéresser : cela me prouve la bonté, la sensibilité de votre cœur. Je me reproche à présent les remords que j’ai eus en me livrant à mon penchant pour vous : le malheur rend sévère envers soi-même ; je me croyais coupable du bien que vous me faisiez ; est-ce à présent, était-ce alors que je me faisais illusion ? en honneur, je n’en sais rien : mais vous, dont le malheur ne bouleverse pas l’âme, vous me jugerez ; et quand je vous verrai, vous me direz si je dois m’applaudir ou m’affliger du sentiment que vous m’inspirez. J’ai reçu hier des nouvelles qui m’alarment : sa santé ne saurait se raffermir ; il est toujours menacé d’un accident funeste, et dont il a été deux fois à l’agonie depuis un an : voyez s’il est possible de vivre. Adieu ; donnez-moi de vos nouvelles.



LETTRE XV

Lundi, 16 août 1773.

Je rouvre ma lettre, pour vous dire combien je suis pénétrée de la bonté que vous avez d’être aussi inquiet de n’avoir pas reçu de mes nouvelles. Je n’en