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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/87

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huit jours ! combien mon cœur a été navré de douleur ! dans quel trouble, dans quelles alarmes je consume ma vie ! je n’ai plus la liberté de m’en délivrer, cela m’est affreux, et il n’est pas au pouvoir de ce que j’aime de faire cesser mes maux : il les sent, il en souffre ; il est encore plus malheureux que moi, parce que son âme est plus forte, a plus d’énergie et de sensibilité que la mienne. Depuis un an, tous les moments de sa vie ont été marqués par le malheur : il en mourra et il veut que je vive. Oh, mon Dieu ! mon âme ne peut pas suffire à ce qu’elle sent et à ce qu’elle souffre ; voyez ma faiblesse ; voyez combien le malheur rend indiscret et personnel : je vous occupe de moi, je vous attriste peut-être. Ah ! pardonnez-le moi : cet excès de confiance vient de mon amitié, de ma tendre amitié pour vous. Vous m’avez déjà marqué tant de bonté et d’indulgence, qu’il me semble que je n’en peux plus abuser. Hélas ! si vous souffriez, qui est-ce qui le sentirait et qui le partagerait mieux que moi ? vous voyez dans mon âme, vous voyez ce qu’elle est pour vous. Eh ! je le sens, au comble du malheur, en invoquant la mort à chaque instant, vous me coûteriez un regret ; vous me consolez, et cependant je succombe sous le poids de mes maux. Eh ! non, c’est que ce ne sont pas les miens qui me déchirent : ce sont ceux de mon ami, pour lequel je n’ai ni remède, ni consolation : voilà le supplice d’une âme sensible et dévouée ; vous avez aimé, vous m’entendrez et vous me plaindrez. Mais voyez combien l’on saisit avidement ce qui fait espérer quelque soulagement. — D’après ce que vous aviez mandé à M. d’Alembert, je comptais vous voir à la fin de septembre, et vous ne serez ici qu’à la fin d’octobre ; mais au moins y serez-vous ? Hélas ! je ne sais si je puis me permettre d’es-