Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur ; je sentais seulement qu’il me privait de vous écrire, c’est cependant ce qu’on appelle un ami. En effet, je m’intéresse à lui, mais il ne peut rien pour mon bonheur. Mon Dieu ! peut-être que mon âme est fermée à jamais à ce sentiment ; si cela était, que faire de la vie ? Je m’en remets à vous pour faire cette épreuve ; venez, mais cela me fait peur. Ah ! si mon âme venait à rester à froid, je serais désolée ; et vous, y seriez-vous sensible ? auriez-vous assez de bonté pour regretter mon plaisir ; mais sans doute, au moment où je vous verrai, vous serez encore tout occupé de celui que vous aurez senti en revoyant ce que vous aimez. Convenez que ce jour-là vous serez plus éloigné de moi que vous ne l’êtes de Breslau. Mon Dieu ! cela est juste ; pourvu que lorsque vous serez calme, vous reveniez à moi, je serai trop heureuse. Je suis non seulement contente, mais encore pénétrée de ce que vous m’accordez ; je ne sais même si j’y réponds, qu’en pensez-vous ? lequel de nous est en reste ? en jugeant par ses situations, il me semble que l’avantage serait pour moi. Le malheur dispose bien plus à l’amitié et à la tendresse, que la vie que vous menez. D’ailleurs, toutes choses égales, n’êtes-vous pas mille fois plus aimable et plus digne d’être aimé ? mais venez : il y a des jours, il y a des moments où mon âme est tellement absorbée, que je crains de ne pas vous aimer assez. Souffrez que je vous fasse un reproche ; votre confiance manque à mon amitié, vous ne me dites plus rien de vous, pourquoi cela ? j’ai été injuste une fois, je le sais, m’en puniriez-vous ? Comment, si vous aimez, n’avez-vous rien à me dire ? Vous souffrez, vous espérez, vous jouissez, pourquoi ne m’en dites-vous rien ? Vous me parlez si peu de vous, que vos lettres pourraient presque aller à toutes