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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/91

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approuver ou tout souffrir sans se plaindre. Voilà ma cinquième lettre sans réponse ; je vous demande combien il y a de personnes avec qui vous feriez de pareilles avances. Je ne sais pourquoi je m’étais persuadée que je recevrais de vos nouvelles de Breslau, soit que vous reçussiez la lettre que je vous y ai adressée, soit qu’elle fût perdue ; mais mon espérance a été trompée. Oh ! je vous hais de me faire connaître l’espérance, la crainte, la peine, le plaisir : je n’avais pas besoin de tous ces mouvements, que ne me laissiez-vous en repos ? mon âme n’avait pas besoin d’aimer ; elle était remplie d’un sentiment tendre, profond, partagé, répondu, mais douloureux cependant ; et c’est ce mouvement qui m’a approchée de vous : vous ne deviez que me plaire, et vous m’avez touchée ; en me consolant, vous m’avez attachée à vous, et, ce qu’il y a de bien singulier, c’est que le bien que vous m’avez fait, que j’ai reçu sans y donner mon consentement, loin de me rendre facile et souple, comme le sont les gens qui reçoivent grâce, semble, au contraire, m’avoir acquis le droit d’être exigeante sur votre amitié. Vous qui voyez de haut et qui voyez profondément, dites-moi si c’est là le mouvement d’une âme ingrate, ou peut-être trop sensible : ce que vous me direz, je le croirai. Si je voulais, ou plutôt si je n’étais pas inquiète et mécontente de votre silence, je vous ferais une querelle, que vous entendriez à merveille, à laquelle vous répondriez avec plaisir, et votre justification serait sans doute un nouveau crime ; mais vous êtes si loin, vous êtes si pressé, si occupé, et pire que cela, si enivré ! ce mot me venge ; mais il ne me contente pas. Revenez donc : je vois le temps s’écouler avec un plaisir que je ne puis exprimer. On dit que le passé n’est rien ; pour