moi, j’en suis accablée, c’est justement parce que j’ai beaucoup souffert, qu’il m’est affreux de souffrir encore. Mais, mon Dieu ! il y a de la folie à me promettre quelque douceur, quelque consolation de votre amitié : vous avez acquis tant d’idées nouvelles ; votre âme a été agitée de tant de sentiments divers, qu’il ne restera pas trace de l’impression que vous aviez reçue par mon malheur et ma confiance. Eh bien ! venez toujours ; j’en jugerai et je verrai clair : car l’illusion n’est point à l’usage des malheureux : d’ailleurs vous avez autant de franchise que j’ai de vérité ; nous ne nous tromperons pas un moment ; venez donc, et ne rapportez pas de votre voyage l’impression de tristesse que le chevalier a apportée d’Italie. Il parle de tout ce qu’il a vu sans plaisir, et tout ce qu’il voit ne lui en fait pas davantage ; en un mot, je ne changerais pas ma disposition contre la sienne, et cependant je passe ma vie dans les convulsions de la crainte et de la douleur ; mais aussi, ce que j’attends, ce que je désire, ce que j’obtiens, ce qu’on me donne, a un tel prix pour mon âme ! Je vis, j’existe si fort, qu’il y a des moments où je me surprends à aimer à la folie jusqu’à mon malheur. Voyez si, en effet, je n’y dois pas tenir, s’il ne doit pas m’être cher : il est cause que je vous connais, que je vous aime, que peut-être j’en aurai un ami de plus ; car vous me le dites : si j’avais été calme, raisonnable, froide, rien de tout cela ne serait arrivé. Je végéterais avec toutes les femmes qui jouent de l’éventail, en causant du jugement de M. de Morangiez, et de l’entrée de Mme la comtesse de Provence à Paris. Oui, je le répète : je préfère mon malheur à tout ce que les gens du monde appellent bonheur ou plaisir ; j’en mourrai peut-être, mais cela vaut mieux que de
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