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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/94

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vous souffrez et de ce que je crains. Si vous saviez combien vous m’occupez douloureusement depuis un mois ! mais ce n’est pas de cela que je veux vous parler : c’est de votre santé et de votre retour. Au nom de l’amitié, ne faites point de folies : dormez, reposez-vous, et pour arriver plus tôt, ne risquez pas de n’arriver jamais. Du moins aurez-vous eu le soin de me donner de vos nouvelles avant que de quitter Breslau ? Vous serez accablé de mes lettres en arrivant à Vienne : n’oubliez pas de m’en accuser la réception, et pour cause ; celle-ci est la cinquième dont vous avez à me parler. Ce n’était pas ma lettre que vous envoyiez chercher à la poste de Breslau ; voyez si je suis bonne et généreuse : j’aurais voulu qu’elle pût se métamorphoser en celle que vous attendiez, et dont votre âme avait besoin. Je ne sais à quoi cela tient, mais vous êtes l’homme du monde à qui j’ai le moins d’envie de plaire, avec qui je veuille le moins faire valoir ce que vous appelez mes attentions. C’est que je ne veux point de votre reconnaissance ; c’est un sentiment que j’abhorre. Je voudrais bien me tromper ; mais au ton de votre lettre, je vois que vous étiez bien faible, bien pâle et bien abattu. Je meurs de crainte que, dans cette disposition, vous n’ayez pas songé à m’écrire : si cela est vrai, vous serez bien coupable. Sachez-moi gré de ne point vous faire de reproches aujourd’hui : je pourrais pourtant avec justice vous en accabler. Je suis ravie que vous ayez été content de votre voyage. M. d’Alembert n’a pas eu de nouvelles du Roi depuis son retour de Silésie. Adieu : il faut couper court ; si je vous parlais de vous, j’aurais trop de choses à vous dire ; et si je vous parlais de moi, cela serait trop triste pour un convalescent.