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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/96

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millième partie du désir que j’ai de vous voir, vous seriez là ; je serais heureuse. Non, j’ai tort, je souffrirais ; mais je n’envierais pas les plaisirs du ciel. Mon ami, je vous aime comme il faut aimer, avec excès, avec folie, transport et désespoir. Tous ces jours passés, vous avez mis mon âme à la torture. Je vous ai vu ce matin, j’ai tout oublié, et il me semblait que je ne faisais pas assez pour vous, en vous aimant de toute mon âme, en étant dans la disposition de vivre et de mourir pour vous. Vous valez mieux que tout cela ; oui, si je ne savais que vous aimer, ce ne serait rien en effet ; car y a-t-il rien de plus doux et de plus naturel que d’aimer à la folie ce qui est parfaitement aimable ? Mais, mon ami, je fais mieux qu’aimer : je sais souffrir : je saurai renoncer à mon plaisir pour votre bonheur. Mais voilà quelqu’un qui vient troubler la satisfaction que j’ai à vous prouver que je vous aime.

Savez-vous pourquoi je vous écris ? c’est parce que cela me plaît : vous ne vous en seriez jamais douté, si je ne vous l’avais dit. Mais, mon Dieu ! où êtes-vous ? Si vous avez du bonheur, je ne dois plus me plaindre de ce que vous m’enlevez le mien.



LETTRE XXI

1774.

Bonjour, mon ami. Avez-vous dormi ? comment êtes-vous ? vous verrai-je ? ah ! ne m’ôtez rien : le temps est si court, et je mets tant de prix à celui que j’emploie à vous voir ! Mon ami, je n’ai plus d’opium