Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la tête, ni dans le sang : j’y ai pire que cela, j’y ai ce qui ferait bénir le ciel, chérir la vie, si ce qu’on aime était animé du même mouvement ; mais, mon Dieu ! ce qu’on aime est justement fait pour faire le tourment et le désespoir d’une âme sensible. Bonjour ; je veux vous voir. Vous auriez dû venir dîner avec moi chez madame Geoffrin. Je n’osai pas vous le dire hier au soir. Oui, vous devriez m’aimer à la folie ; je n’exige rien ; je pardonne tout, et je n’ai jamais un mouvement d’humeur, mon ami ; je suis parfaite, car je vous aime en perfection.



LETTRE XXII

Quatre heures, 1774.

Vous n’êtes pas parti ; du moins je l’espère ; voici ce que vous aurez dit : Il fait un temps affreux, j’irai demain à la campagne, j’y serai mené ; je la verrai après-dîner. J’irai passer la soirée chez madame de V… Mon ami, si vous avez raisonné ainsi, M. d’Alembert vous permettra de raisonner à l’avenir, et vous n’en serez pas réduit à faire et à ne faire que des Connétables. Racine n’aurait pas voulu qu’on l’empêchât de faire des Lettres sur les Visionnaires, ni même son histoire de Port-Royal. Voilà les deux volumes ; si vous les perdez, je vous préviens que vous serez perdu dans l’opinion de M. d’Alembert. Voilà aussi Plutarque ; il est à moi : mais si cela vous est égal, j’aimerais autant qu’il ne fût ni déchiré ni perdu… J’ai vu à la messe madame de M… ; j’ai voulu lui parler ; sa figure, sa taille justifieraient le goût le