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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/99

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bonne fortune ; mais ce qui m’afflige, c’est le nombre de jours qui se passent sans que je vous voie. Mon Dieu ! si vous saviez ce que sont les jours, ce qu’est la vie dénuée de l’intérêt et du plaisir de vous voir ! Mon ami, la dissipation, l’occupation, le mouvement vous suffisent, et pour moi, mon bonheur c’est vous, ce n’est que vous : je ne voudrais pas vivre, si je ne devais vous voir et vous aimer tous les moments de ma vie. Donnez-moi de vos nouvelles, et venez dîner demain chez le comte de C.... Il m’a demandé de changer le dimanche en samedi : j’ai dit oui ; mais venez-y, je vous en prie. Je devais dîner chez l’ambassadeur d’Espagne aujourd’hui : je me suis fait excuser ; si vous aviez dû y être, je n’y aurais pas manqué. Bonjour. J’attends la lettre que vous m’avez promise ; je suis bien pressée.



LETTRE XXIV

1774.

Je cède au besoin de mon cœur, mon ami : je vous aime ; je sens autant de plaisir et de déchirement que si c’était la première et la dernière fois de ma vie que je prononcerais ces mots. Ah ! pourquoi m’y avez-vous condamnée ? pourquoi y suis-je réduite ? vous saurez un jour — hélas ! vous m’entendrez. Il m’est affreux de n’être plus libre de souffrir pour vous et par vous. Est-ce assez vous aimer ? Adieu, mon ami.