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PREMIÈRE PARTIE

malheureux, et n’avez-vous pas bien peu de délicatesse de n’avoir su profiter qu’en cette manière de mes emportemens ? Et comment est-il possible qu’avec tant d’amour je n’aie pu vous rendre tout à fait heureux ? Je regrette, pour l’amour de vous seulement, les plaisirs infinis que vous avez perdus. Faut-il que vous n’ayez pas voulu en jouir ? Ah ! si vous les connoissiez, vous trouveriez sans doute qu’ils sont plus sensibles que celui de m’avoir abusée ; et vous auriez éprouvé qu’on est beaucoup plus heureux, et qu’on sent quelque chose de bien plus touchant quand on aime violemment que lorsqu’on est aimé. Je ne sais ni ce que je suis, ni ce que je fais, ni ce que je désire ; je suis déchirée par mille mouvemens contraires. Peut-on s’imaginer un état si déplorable ? Je vous aime éperdument, et je vous ménage assez pour n’oser, peut-être, souhaiter que vous soyez agité des mêmes transports. Je me tuerois, ou je mourrois de douleurs sans me tuer, si j’étois assurée que vous n’avez jamais aucun repos, que votre vie n’est que trouble et qu’agitation, que vous pleurez sans cesse, et que tout vous est odieux. Je ne puis suffire à mes maux ; comment pourrois-je supporter la dou-