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LE DOUBLE SECRET
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Mais il se maîtrisait aussitôt ; son regard s’attachait sur Anne-Marie, sur son front, sur ses bras allongés, sur ses doigts, sur tout son être, comme s’il avait voulu, par cet ordre muet, lui commander de n’être qu’un morceau de marbre.

Quand on fouillait les vêtements de son mari, sa trousse, Anne-Marie se soulevait dans son fauteuil, le corps tendu, les mâchoires contractées.

De la chambre, on passa dans le salon, du salon dans le cabinet de toilette, et les mêmes formalités se reproduisirent, interrompues d’ordres brefs.

— Voyez ceci… et cela que vous avez oublié ? Passez la main dans la rainure du fauteuil… Secouez les rideaux…

Certes, les autres perquisitions n’avaient pas été effectuées avec des soins aussi minutieux, car à cette allure, trois jours n’y auraient point suffi. Celle-ci s’acheva enfin. Quand on eut tout visité, palpé, retourné ; quand on fut revenu dix fois à la même place, quand on eut vérifié le contenu de toutes les malles, des moindres sacs, sans rien trouver, le commissaire jeta autour de lui un dernier coup d’œil.

Il était sept heures du matin. Le petit jour brouillait le ciel de taches grises, une vague clarté flottait au ras du sol, l’aube collée aux vitres avait l’air de vouloir fouiller, elle aussi, cette chambre en désordre et dépouiller les visages de cet homme et de cette femme en toilette du soir qui attendaient…

— Monsieur, dit le commissaire, je vais me retirer. Je n’ai rien trouvé et j’en suis heureux. Je vous demanderai simplement, même si le séjour dans cet hôtel vous est désagréable, de ne pas quitter la ville avant un jour ou deux. Pour quelques détails à fixer, votre présence pourrait être utile.

— J’entends ; vous désirez nous conserver sous votre surveillance.

— Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’en ville vous serez libres.

— Et s’il me plaisait de partir cependant ?…

— Je vous prierais de n’en rien faire.

Restés seuls, Philippe et sa femme demeurèrent atterrés.

La fatigue, l’angoisse, avaient creusé leurs visages, le froid les gagnait, ralentissant leurs gestes, écrasant leurs épaules. Les lampes allumées faisaient, dans la lueur du matin, des taches jaunes, révélant sur les meubles une pellicule impalpable de poussière. Autour d’eux tout semblait las, triste, vieilli comme eux-mêmes. Pourtant, cette clarté prolongeait l’illusion du soir et les déguisait encore.

Philippe traversa la chambre, éteignit les candélabres de la cheminée, le plafonnier, les appliques, la lampe à réflecteur de la salle de bains ; alors seulement ils se virent tels qu’ils étaient, hâves, courbés et mornes.

La robe bleue d’Anne-Marie prenait une teinte ardoisée, un constant frisson plissait la chair de ses bras ; elle avait les tempes creuses, les oreilles pâles, le nez transparent et pincé d’une grande malade ; ses yeux étaient fixes et ternes, et ses paupières lentes à s’abaisser, plus lentes encore à se relever, suivaient la cadence de sa respiration profonde.

Philippe s’arrêta devant elle, la contempla, puis l’attira contre son épaule. Elle y cacha son front et ils restèrent ainsi embrassés, sans un mot, sans un geste. Puis il s’écarta doucement, releva de la main les cheveux qui couvraient son beau front, la contempla encore, et lui dit avec une tendresse immense et douloureuse :

— Couche-toi, va… couche-toi…