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Page:Level - Le double secret, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/40

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JE SAIS TOUT

port commença Philippe…

— Vous allez le voir. Je n’accuse personne, notez-le bien, mais cet appel téléphonique venant de l’hôtel…

Pour se donner une contenance, Philippe tira une cigarette de sa poche et la battit sur son étui.

— Je vois de moins en moins pourquoi ceci a plus d’importance pour moi que pour un autre ! L’hôtel est plein…

— Il était vide cet après-midi, ou, du moins, deux personnes seulement s’y trouvaient de trois à six : madame et vous.

— Il suffirait de demander au garçon de la cabine si madame ou moi avons téléphoné, répliqua Philippe avec hauteur.

— C’est ce que j’ai fait. Ce garçon m’a avoué s’être absenté pendant une demi-heure — précisément par ce que, croyant l’hôtel vide, il ne pensait pas qu’on eût besoin de lui — et c’est sans doute à ce moment qu’on a communiqué. Restent ces trois faits : le coup de téléphone est parti d’ici, pas un autre numéro n’a été demandé — le contrôle de ce que j’avance nous est fourni par la poste — et, je vous le répète, seuls, madame et vous étiez à l’hôtel.

Anne-Marie se souleva et avança la main ; Philippe enflamma son briquet et, la tête penchée de côté pour allumer sa cigarette, lui lança un regard si impérieux qu’elle se renversa en arrière sans oser achever son geste.

— Cette coïncidence assez troublante m’a donc conduit, je ne dirai pas à vous suspecter, continua le magistrat, mais à vous demander quelques, précisions. En admettant même que madame ou vous eussiez téléphoné…

— Ni ma femme, ni moi, n’avons téléphoné, prononça Philippe avec force.

— Je comprends que mon insistance vous soit pénible… Mais tout vaut mieux qu’un scandale et si, par hasard, par malheur, ce collier se trouvait ici…

— Monsieur, murmura Philippe les dents serrées…

— Je vous parle d’un malheur… d’un hasard ; comprenez-moi à demi-mot… On a vu des malheurs de ce genre… des personnes fort honorables emportées, entraînées par on ne sait quel trouble, commettre des actes invraisemblables… incroyables. L’instruction s’efforce de les cacher et les tribunaux acquittent souvent parce qu’il s’agit là de faits, comment dirai-je ?… anormaux… pathologiques… Donc, si ce collier se retrouvait ici, je serais tout prêt à croire que c’est par suite d’un événement de ce genre, et, plutôt que de me le laisser chercher… découvrir… et de me mettre ainsi dans l’obligation de poursuivre, le mieux ne serait-il pas alors de me dire, purement et simplement…

Philippe écrasa sa cigarette entre ses doigts et baissa la tête. Il y eut un silence de quelques instants ; le commissaire attendit une réponse, une protestation… Devant le mutisme glacé de Philippe et de sa femme, il esquissa un geste de regret et conclut :

— Veuillez me confier vos clés…

Philippe lui remit son trousseau d’une main tremblante. Anne-Marie le regarda comme un condamné à mort regarde l’instrument de supplice, puis étendant la main vers son sac, dit à son tour :

— Voici les miennes…

Et la perquisition commença, minutieuse, lente, exaspérante. Sur l’ordre du commissaire, les deux agents qui attendaient devant la porte étaient entrés.

Adossé à la cheminée, les mains derrière le dos, Philippe suivait, immobile, les mouvements des policiers. Lorsqu’on touchait un vêtement, un objet appartenant à sa femme, il relevait la tête d’un brusque sursaut, faisait claquer ses doigts, prêt à crier :

— Laissez cela ! Je vous défends !