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Page:Level - Le double secret, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/44

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JE SAIS TOUT

souliers gris, choisissant parmi les gants épars dans une boîte, des gants de daim, garnissant son sac de menus objets indispensables.

Philippe la contemplait. Cette précision méticuleuse, cette attention aux moindres détails, tout cela, qui révélait une prodigieuse maîtrise de soi, le stupéfiait. Il essayait maladroitement de l’aider, suivant ses pas, s’énervant aux serrures, répétant, pour meubler les lourdes minutes de cette fuite, des recommandations précipitées et contradictoires :

— Dès que tu seras arrivée, télégraphie-moi… ou, plutôt, écris-moi… Et puis, non, ce n’est pas la peine, puisque je t’aurai rejointe bientôt… Descends à la maison… Si tu descendais chez ton père ?… À moins que, de Paris, tu ne prennes un billet pour Nice ?… Un peu de soleil après cette neige, ce froid…

Elle l’approuvait d’un hochement de tête, sans cesser pour cela d’aller et venir. À mesure que les préparatifs s’achevaient, il se sentait à la fois soulagé et anxieux, comme si la solitude au lieu d’être un fait brusque, arrivait par degrés et l’entourait insensiblement. Il prolongeait ces dernières minutes, les bousculait et les retardait tour à tour. Il aurait voulu qu’elle fût déjà loin, mais s’il l’avait osé, il eût crié :

— Ne t’en va pas ! Reste !

Quand elle fut prête, gantée, son manteau boutonné jusqu’au col, elle releva sa voilette et se plaça devant lui. Depuis un moment, le tulle à grands ramages abaissé sur sa figure lui dérobait l’angoisse de son visage et la détresse de ses yeux. La voyant toute droite et sur le point de dire les derniers mots, il se sentit envahi d’un trouble effrayant, d’une immense détresse. Elle crut qu’il allait parler, mais il se tut. Alors, jetant un regard rapide autour d’eux, elle dit, d’une voix sourde, mais sans reproche, sans colère, la main tendue :

— Donne…

Il la considéra.

— Quoi ?…

Elle fronça les sourcils et répéta :

— Donne, donne vite !

Il répéta à son tour :

— Mais quoi ? Que veux-tu que je te donne enfin ?…

— Le collier.

— Le ?…

Une angoisse l’étreignit, si forte qu’il fut incapable de prononcer une parole et demeura la bouche ouverte, les yeux dilatés, les jambes et les bras agités d’un tremblement. Inclinée vers lui, le sentant prêt à défaillir, résignée au sacrifice de tout ce qui avait été son rêve, son orgueil, sa foi ; mêlant son amour à sa volonté de le sauver : compatissante, indulgente, maternelle, n’envisageant d’autre devoir que de le défendre, bousculant les mots, parce qu’elle souffrait à les dire autant qu’il devait souffrir à les entendre, elle parla :

— Inutile de mentir… Je sais tout : la partie de l’autre soir, tes pertes insensées, ta dette ; je sais que tu as tout tenté pour payer en temps voulu et que tu n’as pas pu… Je m’arrangerai… Je vendrai tout ce que j’ai ; s’il le faut, papa nous donnera le nécessaire… Mais, pour Dieu ! qu’on ne trouve pas ce collier… L’argent expédié, je le renverrai… On ne saura pas d’où il vient… On pourra soupçonner… imaginer… Peu importe, si rien de plus ne subsiste… Donne-le-moi !

Philippe avait écouté ce flot de supplications sans rien dire ; aux derniers mots, il releva la tête et fixa sur sa femme des yeux épouvantés :

— Comment ?… Tu crois que moi ?… Tu as cru ?… Tu as pu croire ? Moi ? Moi ? Mais je ne l’ai pas ! Je ne l’ai jamais eu ! Je le jure… Faut-il que ce soit à toi qu’il me faille faire un pareil serment ? Ah ! quelle horreur !