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LE DOUBLE SECRET
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Il n’osait crier ; ses phrases se heurtaient, étranglées et rauques, et il balbutiait sa protestation furieuse :

— Moi ! Moi, un vo…

Il n’osa pas achever le mot, le mot terrible qu’il avait entendu une fois. Puis brusquement, il eut une révolte.

Quelle était cette comédie lamentable ? Anne-Marie l’accusait ! Coupable, elle poussait l’inconscience jusqu’à feindre de le soupçonner ! N’avait-il donc vécu cette affreuse nuit que pour en arriver là ? Comment osait-elle égarer les soupçons, risquer de les laisser peser sur des innocents ?

C’était l’effroyable héritage, et pis encore ! Emportée par le même désir maladif qui avait perdu sa pauvre mère, elle avait dérobé le collier…

Cette pensée lui parut d’abord si odieuse qu’il essaya de l’écarter. Mais tout la trahissait ; sa pâleur, son trouble, son angoisse, et ce coup de téléphone grâce à quoi les recherches c’étaient dirigées sur eux. Anne-Marie était une voleuse ! Devrait-il donc l’obliger à avouer ?… Il avait espéré qu’épouvantée de son acte, soumise à son ordre silencieux, elle fuirait sans discuter. Ainsi il aurait pu, la suivant bientôt, renvoyer le bijou, ou bien si on le retenait, il se laissait arrêter, juger et condamner à sa place. Tel était le projet élaboré parmi la fièvre de ces dernières heures.

Et voici que, renversant les rôles, elle le contraignait à modifier son plan, à lui crier ce qu’il redoutait dès la première seconde ! Quelle obscure besogne s’était accomplie derrière ce front candide !

Il sanglotait, la figure cachée dans les mains.

À son tour, elle le prit dans ses bras :

— Pleure ! Pleure, mon pauvre grand. Tu ne pleureras jamais plus de larmes que je n’en ai versées. Je ne te reproche rien… Je suis la seule qui puisse pardonner et comprendre… La chose d’autrefois t’a affolé. Tu t’es dit que ce M. Reval connaissant M. Fortier, l’apprendrait peut-être, qu’il t’accuserait d’indélicatesse… et, pour gagner du temps, dans un moment de folie, tu as… dès la première seconde, j’ai vu clairement cela… J’espérais que tu ne serais pas accusé tout de suite… J’allais télégraphier à papa de m’envoyer mon collier… Je voulais le vendre, et j’ai téléphoné au bijoutier d’ici pour lui demander s’il achèterait des perles… Car c’est moi qui ai téléphoné. L’argent restitué, nous nous serions arrangés de façon à ce que la dame rentre en possession de son bijou… La réponse évasive du joaillier m’a fait hésiter à envoyer ma dépêche… Un instant, j’ai été sur le point d’avouer une partie de la vérité au commissaire… Mais, pour cela, n’était ce pas laisser deviner le reste ?…

Philippe l’écoutait, abasourdi. Disait-elle vrai ? Était-ce possible ? Puis, il la vit si douce, si simple, si passionnément tendre, qu’il eut la certitude qu’elle ne mentait pas. Qui avait volé le collier ? Il ne s’en inquiétait même plus : une seule chose existait : ce n’était pas elle, ce ne pouvait pas être elle, et, riant et pleurant à la fois, se dégageant de son étreinte, il s’écria :

— Non, non ma chérie, ce n’est pas moi qui ai pris le collier ! Ce n’est pas moi ! Enlève ton chapeau ! Tiens, je prends tes gants, je les arrache ! Jette ton sac ! Pourquoi partir ? Je n’ai plus peur de rien ni de personne ! Devant cette ardeur, ces sanglots et ces rires, Anne-Marie balbutiait :

— C’est donc vrai ! C’est donc vrai ! Et moi qui ai pu croire… Ah, mon mari, mon cher mari !

Tout à coup, Philippe se tut. Son visage un instant apaisé se contracta de nouveau et, baissant la voix, il murmura, revenant à l’examen logique et froid des faits :

— Tu m’as dit tout à l’heure une phrase… tu m’as dit que, connaissant M Fortier, M. Reval apprendrait peut-être… Qu’est-ce que cela signifie ?