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LVII

morale, sans laquelle il n’y a point de grandeur véritable. Cervantes n’eut qu’un défaut, celui d’être trop indulgent. En matière de bon goût, ses principes étaient aussi solides qu’en morale, mais moins inflexibles ; de sorte que ses critiques pèchent le plus souvent par excès de modération. On sent que sa bonté forçait son jugement. Sans fiel et sans rancune, il n’avait point la mémoire des injures, et ne perdit jamais celle des bienfaits.

Il ne connut point l’envie, la plus hideuse des passions mauvaises, la seule, dit-il, qui n’ait pas cet attrait de douceur que l’on trouve au fond de tous les vices. Avec une âme exempte de toutes les basses convoitises, il fut d’une probité rigide, inaccessible aux séductions de la faveur et de la richesse, modéré dans ses désirs, fort dans la douleur, patient dans l’adversité, d’un courage calme dans le péril, et d’une inaltérable sérénité dans l’infortune. Dans une carrière longue et difficile, il montra toute la vigueur de sa robuste nature ; la vieillesse et la misère ne purent l’abattre. Après avoir épuisé toutes les rigueurs du sort, il mourut comme il avait vécu, sans peur et sans reproche, oublié dès le lendemain, lui qui devait être le plus populaire des écrivains modernes.

Mais s’il fut privé des faveurs de la fortune et de ces biens que le monde honore, il fut riche de ces trésors de l’intelligence et du cœur, que les hommes vraiment grands lèguent à la postérité comme un exemple et