Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/105

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abusé, et moi-même avec vous. Il faut que je meure à présent, ou dans les lentes tortures d’un désir non assouvi. Oh ! depuis notre dernier entretien, une main terrible a déchiré le voile qui couvrait mes yeux. Je ne vous aime plus avec la dévotion que l’on doit à un saint ; je ne vous prise plus pour les vertus de votre âme : je ressens pour vous des désirs charnels. La femme règne dans mon sein, et je suis devenue la proie de la plus fougueuse des passions. Fi de votre amitié ! c’est le mot froid d’un insensible : mon cœur brûle d’amour, d’un amour inexprimable, et l’amour doit être payé de retour ; tremblez donc, Ambrosio, tremblez de voir vos prières exaucées. Si je vis, votre foi, votre réputation, votre récompense d’une vie passée dans les privations, tout ce qui vous est précieux, est perdu irrévocablement. Je ne serai plus capable de combattre mes passions, je saisirai toutes les occasions d’exciter vos désirs, et travaillerai à effectuer votre déshonneur et le mien. Non, non, Ambrosio, je ne dois pas vivre ; chaque instant me prouve que je n’ai qu’une alternative : je sens à chaque battement de mon cœur, qu’il faut que je vous possède ou que je meure. »

« Ô stupéfaction ! Mathilde ! est-ce bien vous qui me parlez ? »

Il fit un mouvement pour quitter son siège. Elle poussa un grand cri, et s’élançant à moitié hors du lit, elle jeta ses bras autour du moine pour le retenir.

« Oh ! ne me quittez pas ! écoutez mes erreurs avec pitié ; dans peu d’heures je ne serai plus : encore un peu, et je serai délivrée de cette honteuse passion. »

« Malheureuse ! que puis-je vous dire ? je ne puis — je ne dois pas — mais vivez, Mathilde ! oh ! vivez ! »

« Vous ne réfléchissez pas à ce que vous demandez. Quoi ! vivre pour me plonger dans l’infamie ? pour devenir