Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/106

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un agent de l’enfer ? pour consommer votre destruction et la mienne ? Touchez ce cœur, mon père. »

Elle lui prit la main. Confus, embarrassé et fasciné, il ne fit point de résistance, et sentit ce cœur battre sous sa main.

« Sentez ce cœur, mon père ! il est encore le siège de l’honneur, de la candeur, de la chasteté : s’il bat demain, il tombera en proie aux plus noirs forfaits. Oh ! laissez-moi donc mourir aujourd’hui ! laissez-moi mourir tandis que je mérite encore les larmes des hommes vertueux. C’est ainsi que je veux expirer ! » (Elle posa sa tête sur l’épaule du moine, et de ses cheveux dorés elle lui couvrait la poitrine.) « Serrée dans vos bras, je m’enfoncerai dans le sommeil ; votre main fermera mes yeux pour toujours, et vos lèvres recueilleront mon dernier souffle ; et ne penserez-vous pas quelquefois à moi ? ne répandrez-vous pas quelquefois une larme sur ma tombe ? Oh ! oui, oui, oui ! ce baiser m’en donne l’assurance. »

Il faisait nuit, tout était silence alentour ; la faible lueur d’une lampe solitaire tombait sur Mathilde, et répandait dans la chambre un jour sombre et mystérieux. Aucun œil indiscret, aucune oreille curieuse n’épiaient les amants ; rien ne s’entendait que les accents mélodieux de Mathilde. Ambrosio était dans la pleine vigueur de l’âge ; il voyait devant lui une femme jeune et belle, qui lui avait sauvé la vie, qui était amoureuse de lui, et que cet amour avait conduite aux portes du tombeau. Il s’assit sur le lit, sa main était toujours sur le sein de Mathilde, dont la tête reposait voluptueusement appuyée sur sa poitrine : qui peut s’étonner qu’il succombât à la tentation ? Ivre de désir, il pressa ses lèvres sur celles qui les cherchaient ; ses baisers rivalisèrent de chaleur et de passion avec ceux de Mathilde : il l’étreignit avec