Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/134

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lui, il ne me répondait plus sans se contraindre. Il me regardait d’un œil de soupçon et de surprise, et les deux bandits chuchotaient entre eux fréquemment. Ma position devenait de plus en plus pénible ; je soutenais mon rôle de confiance de plus mauvaise grâce que jamais. Ayant également peur de voir arriver leurs complices, et d’être soupçonné de connaître leurs desseins, je ne savais comment dissiper la méfiance qu’évidemment les brigands avaient de moi. Dans ce nouveau dilemme, l’humanité de Marguerite m’assista encore. Elle passa derrière la chaise de ses beaux-fils, s’arrêta un moment en face de moi, ferma les yeux et pencha la tête sur l’épaule. Ce signe aussitôt me tira d’incertitude ; il me disait d’imiter la baronne, et de faire comme si la liqueur avait eu sur moi son plein effet. J’en profitai, et, dans peu d’instants, j’eus parfaitement l’air d’être plongé dans le sommeil.

« Bon, » s’écria Baptiste, lorsque je me renversai sur ma chaise, « enfin il dort ! je commençais à croire qu’il avait flairé notre projet, et que nous serions forcés de le dépêcher à tout événement. »

« Et pourquoi ne pas le dépêcher à tout événement ? » demanda le féroce Jacques ; « pourquoi lui laisser la possibilité de trahir notre secret ? Marguerite, donne-moi un de mes pistolets, un doigt sur la détente, et tout sera dit. »

« Et supposé, » repartit le père. « supposé que nos amis n’arrivent pas ce soir, nous ferons une jolie figure demain matin quand les domestiques le demanderont ! Non, non, Jacques, il faut attendre nos camarades ; avec eux nous sommes assez forts pour dépêcher les valets aussi bien que les maîtres, et le butin est à nous. Si Claude ne trouve pas la troupe, il faut nous résigner, et laisser la proie nous glisser entre les doigts. Ah ! garçons, garçons, si vous étiez arrivés seulement cinq minutes plus