Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Mes efforts pour combattre sa résolution furent infructueux ; il me refusa désormais toute entrée au jardin, et Agnès persista à ne vouloir plus me voir ni me donner de ses nouvelles. Environ quinze jours après, une maladie violente dont mon père fut pris m’obligea de partir pour l’Andalousie. Je fis diligence, et, comme je supposais, je trouvai le marquis à l’article de la mort. Quoique, dès les premiers symptômes, son mal eût été déclaré mortel, il languit plusieurs mois : pendant tout ce temps mes devoirs de garde-malade, et l’ordre à mettre dans ses affaires après son décès, ne me permirent pas de quitter l’Andalousie. Il y a quatre jours je suis revenu à Madrid, et, en arrivant à mon hôtel, j’y ai trouvé cette lettre qui ni attendait. »

Ici le marquis prit dans le tiroir d’un secrétaire un papier plié qu’il présenta à Lorenzo. Celui-ci l’ouvrit, et reconnut la main de sa sœur. Elle écrivait ce qui suit :

« Dans quel abîme de misère vous m’avez plongée ! Raymond, vous me forcez de devenir aussi criminelle que vous. J’avais résolu de ne plus vous voir, de vous oublier s’il m’était possible ; sinon, de ne penser à vous qu’avec haine. Un être, pour qui je sens déjà une tendresse de mère, me sollicite de pardonner à mon séducteur et de réclamer de son amour un moyen de salut. Raymond, votre enfant vit dans mon sein. Je tremble à l’idée de la vengeance de l’abbesse ; je tremble beaucoup pour moi, mais plus encore pour l’innocente créature dont l’existence dépend de la mienne. Nous sommes perdus tous doux si mon état se découvre. Conseillez-moi donc ce que je dois faire, mais ne cherchez point à me voir. Le jardinier qui se charge de vous remettre ceci est renvoyé, et nous n’avons rien à espérer de ce côté : l’homme qui le remplace est d’une fidélité incorruptible.