Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/213

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Le meilleur moyen de me faire parvenir votre réponse est de la cacher sous la grande statue de saint François, qui est dans la cathédrale des Capucins ; tous les jeudis j’y vais à confesse, et je trouverai facilement l’occasion de prendre votre lettre. J’apprends que vous êtes absent de Madrid. Ai-je besoin de vous prier de m’écrire aussitôt votre retour ? Je ne le pense pas. Ah ! Raymond ! ma situation est cruelle ! trompée par mes plus proches parents, forcée d’embrasser une profession pour laquelle je n’ai point de vocation, pénétrée de la sainteté des devoirs qu’elle m’imposait, et entraînée à les violer par celui que je soupçonnais le moins de perfidie, je suis maintenant obligée par les circonstances de choisir entre la mort et le parjure. La timidité de la femme et l’affection maternelle ne me permettent pas d’hésiter dans mon choix. Je sens le crime où je me plonge en adoptant le plan que vous m’aviez d’abord proposé. La mort de mon pauvre père, qui est arrivée depuis que nous ne nous sommes vus, a écarté un obstacle ; il dort dans son tombeau, et je ne crains plus sa colère. Mais celle de Dieu, ô Raymond ! qui m’en garantira ? qui peut me protéger contre ma conscience, contre moi-même ? Je n’ose m’appesantir sur ces idées, elles me rendront folle. J’ai pris ma résolution. Obtenez la révocation de mes vœux : je suis proie à fuir avec vous. Écrivez-moi, ô mon époux ! dites-moi que l’absence n’a pas affaibli votre amour ! dites-moi que vous soustrairez à la mort l’enfant qui va vous naître et sa mère infortunée ! Je vis dans toute l’agonie de la terreur ; chaque œil qui se fixe sur moi me semble lire mon secret et ma honte ; et vous êtes la cause de ces angoisses ! Oh ! quand mon cœur commença à vous aimer, qu’il soupçonnait peu que vous lui feriez éprouver de telles tortures !

Agnès. »