Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/238

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que je vivrai, elle ne sera à vous. Certainement il désapprouvera cette union ; son pouvoir est immense, et je n’exposerai pas Antonia à sa colère et à ses persécutions. »

« Ses persécutions ! il est si facile de les éviter ! Au pis aller, il ne s’agit que de quitter l’Espagne. Ma fortune est facile à réaliser. Les îles de l’Inde nous offriront une retraite sûre. J’ai un petit bien à Saint-Domingue ; nous fuirons là, et je regarderai ce lieu comme ma patrie, s’il me procure la possession paisible d’Antonia. »

« Ah ! jeune homme, c’est l’illusion d’un cœur amoureux et romanesque. Gonzalvo pensait comme vous. Il s’imaginait pouvoir abandonner l’Espagne sans regret ; mais le moment du départ le détrompa. Vous ne savez pas encore ce que c’est que de quitter votre pays natal, de le quitter pour ne plus le revoir ! vous ne savez pas ce que c’est que d’échanger les lieux où vous avez passé votre enfance pour des royaumes inconnus et des climats malsains ! — d’être oublié, entièrement, éternellement oublié des compagnons de votre jeunesse ! — de voir vos chers amis, les plus tendres objets de votre affection, victimes des maladies qui visitent si souvent l’Inde, et de vous trouver impuissant à les soulager ! voilà ce que j’ai éprouvé ! Mon mari et deux petits enfants sont enterrés à Cuba ; rien n’a pu sauver ma jeune Antonia que mon prompt retour en Espagne. Ah ! don Lorenzo, si vous pouviez comprendre ce que j’ai senti pendant mon absence ! si vous saviez combien je regrettais amèrement tout ce que j’avais laissé en arrière, et combien m’était cher le seul nom de l’Espagne ! Je portais envie aux vents qui soufflaient vers ses bords, et quand un matelot espagnol chantait quelque air bien connu en passant sous ma fenêtre, mes yeux se remplis-