Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hélas ! que de fois les enchantements de l’imagination, dans le sommeil, me rappelleront à l’esprit mon pays natal ! Que de fois le regret me fera tristement compter chaque jouissance perdue, chaque ami laissé en arrière !

Vallons sauvages de Murcie, chers bosquets romantiques, rivière sur les bords de laquelle je jouais enfant, antiques salles de mon château, tourelles menaçantes, chacun de vous, bois si regrettés et clairières si connues,

Souvent la mémoire, bourreau de mon âme, me retracera vos sites que je suis condamné à ne plus voir, et ces songes d’une terre où se concentrent tous mes vœux changeront chaque plaisir passé en malheur présent.

Mais voici le soleil qui s’enfonce dans les flots : la nuit se hâte de ressaisir son empire ; des nuées obscurcissent à mes yeux les clochers du village ; maintenant je ne les vois qu’à peine, et maintenant je ne les vois plus.

Ô vents ! ne soufflez pas ! ondes, apaisez votre mouvement ! Dors, mon navire, dors en silence sur l’océan, mes yeux une fois encore verront la côte de l’Espagne.

Vain désir ! méprisant ma dernière prière, le vent fraîchit, les flots se gonflent ; nous serons loin au lever du jour. Adieu donc Espagne, ma patrie ! adieu pour jamais !

Lorenzo avait à peine eu le temps de lire ces vers, qu’Elvire revint : elle s’était soulagée en donnant un libre cours à ses larmes, et ses esprits avaient retrouvé leur calme habituel.

« Je n’ai plus rien à vous dire, seigneur, » reprit-elle ; « vous connaissez mes craintes et mes raisons pour vous prier de ne pas renouveler vos visites. Je me suis confiée à votre honneur, et vous me prouverez, j’en suis certaine, que je n’ai pas eu de vous une idée trop favorable. »

« Mais une seule question, señora, et je vous laisse : si le duc de Médina approuve mon amour, puis-je espérer que mes vœux ne seront plus rejetés de vous et de la belle Antonia ? »