Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/60

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« Arrêtez ! oh ! arrêtez ! » cria-t-elle, avec l’accent du désespoir ; et elle s’était jetée aux pieds du moine, et elle les baignait de larmes. « Mon père, ayez pitié de ma jeunesse ; regardez d’un œil indulgent la faiblesse d’une femme, et daignez cacher ma faute ! Le reste de ma vie sera employé à expier ce seul péché, et votre indulgence ramènera une âme au ciel ! »

« Incroyable espérance ! Quoi ! le couvent de Sainte-Claire deviendra-t-il l’asile des prostituées ? laisserai-je l’église du Christ nourrir dans son sein la débauche et l’opprobre ? Indigne malheureuse ! une telle indulgence me rendrait votre complice. La pitié ici serait criminelle. Vous vous êtes abandonnée à un séducteur ; vous avez souillé de votre impureté cet habit sacré, et vous osez encore vous croire digne de ma compassion ! Laissez-moi, ne me retenez pas plus longtemps. Où est la dame abbesse ? » ajouta-t-il, élevant la voix.

« Arrêtez ! mon père, arrêtez ! écoutez-moi un seul instant ! ne m’accusez pas d’impureté, et ne pensez pas que j’aie été égarée par l’ardeur des sens. Longtemps avant que je ne prisse le voile, Raymond était maître de mon cœur ; il m’avait inspiré la plus pure, la plus irréprochable passion, et il était sur le point de devenir mon légitime époux ; une horrible aventure et la traîtrise d’une de mes parentes nous ont séparés l’un de l’autre. Je l’ai cru à jamais perdu pour moi, et de désespoir je me suis jetée dans un couvent. Le hasard nous a rapprochés ; je n’ai pu me refuser le triste plaisir de mêler mes larmes aux siennes ; nous nous sommes donné rendez-vous dans les jardins de Sainte-Claire, et, dans un moment d’oubli, j’ai violé mes vœux de chasteté. Bientôt je serai mère. Respectable Ambrosio, prenez pitié de moi ; prenez pitié de l’innocente créature dont l’existence est attachée à la