Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/67

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sont également imaginaires. L’homme est né pour la société. Si peu qu’il soit attaché au monde, il ne peut ni l’oublier entièrement, ni supporter d’en être oublié. Dégoûté des crimes ou de l’absurdité des hommes, le misanthrope les fuit ; il se résout à se faire ermite, s’enterre dans le creux de quelque sombre rocher. Tant que la haine enflamme son sein, il peut se trouver satisfait de sa condition ; mais quand son ressentiment commence à se refroidir, quand le temps a mûri ses chagrins et guéri les blessures qu’il avait emportées dans sa solitude, croyez-vous que cette satisfaction demeure sa compagne ? Oh ! non, Rosario. N’étant plus soutenu par la violence de son animosité, il sent toute la monotonie de son genre de vie, et son cœur devient la proie de l’ennui et de la lassitude. Il regarde autour de lui et se voit seul dans l’univers ; l’amour de la société se ranime dans son cœur, et il brûle de rentrer dans ce monde qu’il a abandonné. La nature perd pour lui tous ses charmes, personne n’est là pour lui en montrer la beauté, ou pour en admirer avec lui la grandeur et la richesse. Appuyé sur un fragment de rocher, il contemple d’un œil distrait l’eau qui tombe en cascade ; il voit sans émotion la gloire du soleil couchant. Le soir, il revient lentement à sa cellule, car personne n’y attend son arrivée ; il prend sans plaisir et sans goût son repas solitaire ; il se jette sur son lit de mousse l’âme mécontente et découragée, et il ne s’éveille que pour recommencer une journée aussi terne, aussi monotone que la précédente. »

« Vous me surprenez, mon père ! Supposé que des circonstances vous eussent condamné à la solitude, est-ce que les devoirs de la religion et la conscience d’une vie bien employée ne communiqueraient pas à votre cœur ce calme qui — »