Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/68

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« Je me tromperais moi-même si je le croyais possible ; je suis convaincu du contraire. Tout mon courage ne m’empêcherait pas de succomber à la tristesse et au dégoût. Après avoir donné le jour à l’étude, si vous saviez le plaisir que j’ai à retrouver mes frères le soir ! Après avoir passé de longues heures dans l’isolement, si je pouvais vous exprimer la joie que j’éprouve à revoir un de mes semblables ! C’est en cela que je place le mérite principal de l’institution monastique ; elle écarte l’homme des tentations du vice ; elle lui procure le loisir nécessaire pour s’acquitter de ses devoirs envers l’Être suprême ; elle lui épargne la mortification d’assister aux crimes des mondains, et pourtant elle lui permet de jouir des ressources de la société. Réellement, Rosario, enviez-vous la vie d’un ermite ? Pouvez-vous voir si peu le bonheur de votre situation ? Réfléchissez-y un moment. Ce couvent est devenu votre asile ; votre régularité, votre douceur, vos talents, vous ont rendu l’objet de l’estime universelle. Vous êtes séparé du monde, que vous prétendez haïr, et néanmoins vous restez en possession des avantages de la société, et de laquelle ? d’une société composée des hommes les plus estimables. »

« Mon père ! mon père ! c’est là ce qui cause mon tourment. Il eût été heureux pour moi que ma vie se fût passée parmi les vicieux abandonnés du ciel, que je n’eusse jamais entendu prononcer le nom de vertu. C’est mon adoration sans bornes pour la religion, c’est l’excessive sensibilité de mon âme pour le beau et le bon, qui m’accable de honte — qui m’entraîne à ma perdition. Oh ! que n’ai-je jamais vu les murs de ce couvent ! »

« Comment, Rosario ? Lors de notre dernier entretien, vous parliez d’un ton différent ? Mon amitié vous est-elle donc devenue si peu précieuse ? Si vous n’aviez jamais