Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/71

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regard de pitié accordé à une autre serait un vol qu’il lui ferait, il chassa Mathilde de sa présence : il lui défendit de jamais reparaître devant lui. Sa sévérité brisa ce faible cœur ; elle retourna chez mon père, et peu de mois après on la mit au tombeau. »

« Malheureuse fille ! assurément son destin fut trop rigoureux, et Julien trop cruel. »

« Le pensez-vous, mon père ? » s’écria vivement le novice, « pensez-vous qu’il fut trop cruel ? »

« Sans aucun doute, et je la plains bien sincèrement. »

« Vous la plaignez ? Vous la plaignez ? Oh ! mon père ! mon père ! alors plaignez-moi. »

Le prieur fit un mouvement ; mais après une courte pause, Rosario ajouta d’une voix troublée :

« Oui, plaignez-moi, car mes souffrances sont encore plus grandes. Ma sœur avait un ami, un ami véritable, qui compatissait à la violence de ses sentiments, et ne lui reprochait pas son impuissance à les maîtriser. Et moi ! — moi, je n’ai pas d’ami ! le vaste univers ne contient pas un cœur qui veuille participer aux souffrances du mien. »

En prononçant ces paroles, il avait sangloté : le prieur en fut ému. Il prit la main de Rosario, et la serra avec tendresse.

« Vous n’avez pas d’ami, dites vous ? Que suis-je donc ? Pourquoi ne pas vous fier à moi, et que pouvez-vous craindre ? Ma sévérité ? En ai-je jamais usé avec vous ? La dignité de mon habit ? Rosario, je mets de côté le moine, et vous invite à ne me considérer que comme votre ami, comme votre père. Je puis bien prendre ce titre, car jamais père ne veilla sur son enfant avec plus de tendresse que je n’ai fait sur vous. Du moment où je vous ai vu, j’ai éprouvé des sentiments jusqu’à lors in-