Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/114

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à tout ce qui rend la vie plus belle, plus digne d’être vécue, plus intense. S’il m’est démontré que l’erreur et l’illusion peuvent servir au développement de la vie, je dirai « oui » à l’erreur et à l’illusion ; s’il m’est démontré que les instincts qualifiés de « mauvais » par la morale actuelle — par exemple la dureté, la cruauté, la ruse, l’audace téméraire, l’humeur batailleuse — sont de nature à augmenter la vitalité de l’homme, je dirai « oui » au mal et au péché ; s’il m’est démontré que la souffrance concourt aussi bien que le plaisir à l’éducation du genre humain, je dirai « oui » à la souffrance. — Au contraire, je dirai « non » à tout ce qui diminue la vitalité de la plante humaine. Et si je découvre que la vérité, la vertu, le bien, en un mot toutes les valeurs révérées et respectées jusqu’à présent par les hommes sont nuisibles à la vie, je dirai « non » à la science et à la morale. »

Nous allons étudier dans ce chapitre comment s’est formée, d’après Nietzsche, la table des valeurs en cours actuellement, quelle est leur origine et quel état d’âme elles révèlent chez l’Européen moderne.


II


« Au cours de mes pérégrinations à travers les nombreuses morales raffinées ou grossières qui ont régné jusqu’à présent sur la terre ou y règnent encore, j’observai certains traits qui semblaient connexes et se montraient toujours simultanément ; si bien qu’enfin deux types fondamentaux se révélèrent à moi, séparés par une différence capitale. Il y a une morale de maîtres et une morale d’esclaves… La détermination des valeurs morale ? s’est faite ou bien au sein d’une race de dominateurs consciente et fière de la distance qui la séparait de la