Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/119

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gereux explosif, le ressentiment, qui s’accumule sans cesse parmi ses cohortes et s’arrange à le faire éclater sans que l’explosion cause de dommage au troupeau et au berger. Telle est la mission historique du prêtre — mission utile en un sens puisqu’il prévient des catastrophes en disciplinant la multitude des dégénérés — mission néfaste cependant, en dernier ressort, car elle entrave le cours de l’évolution naturelle. Le port naturel où tendent les faibles, les malades, les pessimistes de toute sorte, c’est la bonne mort, la mort qui endort toute souffrance, asile de paix, refuge inviolable de tous les mal venus. Mais chez ceux-là même dont l’énergie vitale est amoindrie, la « volonté de puissance » se défend instinctivement contre l’anéantissement : en déformant la réalité, elle leur suggère de nouvelles raisons de vivre, elle leur fournit des expédients pour tromper leur souffrance, elle les abuse sur la cause de leur mal. Le prêtre se sert avec une habileté consommée de cet instinct naturel ; il le dirige, le stimule, l’exagère, il en fait l’instrument de sa domination. Il devient le protecteur d’une foule innombrable de malades. À quel prix ? Nous le verrons tout à l’heure.

C’est parmi les Juifs, cette race de prêtres qui placée dans les pires conditions d’existence s’est cependant maintenue en vie par des prodiges de ténacité, qu’a commencé ce que Nietzsche appelle « la révolte des esclaves » en morale. « Ce sont les Juifs, dit-il, qui ont été les pires adversaires de l’équation des valeurs aristocratiques (bon = noble = puissant = beau = heureux = aimé des dieux) ; avec une logique terrifiante ils ont tenté de la renverser, ils l’ont saisie avec les crocs de la haine la plus profonde — la haine de l’impuissant — et ils ont tenu bon. Les malheureux seuls, disent-ils, sont les bons ; les pauvres, les impuissants, les faibles sont seuls bons ; les souffrants, les miséreux, les malades, les laids sont aussi beuls pieux, seuls aimés de Dieu ; pour eux seuls est