Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/139

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frayer leur chemin à travers la cohue des appétits égoïstes. La femme se dépoétise ! Et en même temps, sous prétexte de culture artistique, elle se détraque les nerfs — surtout par l’abus de la musique wagnérienne — et devient ainsi impropre à sa vocation naturelle, qui est de mettre au monde de beaux enfants.

Somme toute l’Europe s’enlaidit. Elle tend à se transformer en un vaste lazareth ou grouille, sans grandes douleurs mais aussi sans grandes joies, une multitude inintéressante d’hommes égaux dans la médiocrité et dans l’impuissance, et qui traînent sur la terre une vie morue, sans espérances et sans but.

« Voyez ! enseigne Zaralhustra, je vous montre le dernier homme.

« Qu’est-ce que l’amour ? la création ? le désir ? Qu’est-ce que l’étoile ? » — Ainsi demande le dernier homme et il clignote.

La terre est devenue petite et sur elle sautille le dernier homme qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme le puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps.

« Nous avons découvert le bonheur, » — disent les derniers hommes et ils clignotent.

Ils ont délaissé les contrées où l’on vit durement : car on a besoin de chaleur. On aime aussi le voisin et l’on se frotte contre lui : car on a besoin de chaleur.

Tomber malade et être déliant est pour eux un péché : on marche avec précautions. Bien fou qui trébuche sur les pierres ou sur les gens.

Un peu de poison de temps à autre : cela procure de beaux lèves. Et beaucoup de poison pour finir, afin de mourir agréablement.

On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais L’on veille à ce que cette distraction ne devienne pas un effort.

On ne veut plus ni pauvreté ni richesse : l’une et l’autre donnent trop de souci. Qui voudrait encore commander ? Et qui obéir ? L’un et l’autre donnent trop de souci.

Pas de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose. Tous sont égaux : qui pense autrement, entre volontairement à l’asile d’aliénés…