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certes pas le fait d’un cynique, mais indiquent plutôt une de ces âmes fières qui répondent comme Zarathustra aux questionneurs trop curieux : « Tu me demandes pourquoi ? Je ne suis pas de ceux à qui l’on puisse demander leur pourquoi[1] ! »

C’est bien, en effet, l’orgueil de l’individu libre et autonome qui sait ne dépendre que de sa seule volonté, qui a vaincu la souffrance, qui s’est montré supérieur au destin, — c’est cette fierté virile de l’homme respectueux de lui-même qui constitue le trait essentiel du caractère de Nietzsche, comme il l’a indiqué lui-même dans ce bel apologue de son Zarathustra :

Quand le soleil marqua le milieu du jour, il jeta au-dessus de lui un regard interrogateur — car il entendait l’appel aigu d’un oiseau. Et voici ! Un aigle traversait les airs en décrivant de larges cercles et contre lui on voyait un serpent — non point sa proie, mais son ami : car il avait enroulé ses anneaux autour de son cou.

« Voici mes animaux ! » dit Zarathustra, et il se réjouit en son cœur.

« L’animal le plus fier qui soit sous le soleil et l’animal le plus sage qui soit sous le soleil — ils sont allés en éclaireurs.

« Ils voulaient voir si Zarathustra vivait encore. En vérité suis-je encore en vie ?

« J’ai trouvé plus de périls parmi les hommes que parmi les animaux ; périlleuses sont les voies de Zarathustra. Puissent mes animaux me conduire !

Et lorsqu’il eut dit ces paroles, Zarathustra soupira et parla ainsi à son cœur :

« Si je pouvais être plus sage ! Si je pouvais être tout à fait sage, comme mon serpent !

« Mais je demande l’impossible : je demanderai donc à ma fierté de marcher toujours avec ma sagesse.

« Et si quelque jour ma sagesse me quitte : hélas ! elle aime à s’envoler ! — puisse ma fierté, alors encore, voler avec ma folie[2] ! »

  1. W. VI. 186
  2. W. VI. 290.