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quelque part ; pour tous les grands problèmes le grand amour est nécessaire ; et, de cet amour, sont seuls capables les esprits puissants, robustes, sûrs, solidement carrés sur leurs bases. Il y a une différence du tout au tout entre le penseur qui se tient « personnellement » en face de ses problèmes, qui trouve en eux sa destinée, sa détresse comme aussi son meilleur bonheur, et celui qui les aborde « impersonnellement » et qui ne sait les saisir et les toucher qu’avec les antennes de la pensée froide et curieuse. Ce dernier ne trouvera rien, c’est chose certaine d’avance : car les grands problèmes, à supposer qu’il se laissent saisir, ne se laissent retenir ni par les grenouilles ni par les poules mouillées, — un goût qu’ils partagent d’ailleurs avec toutes les vaillantes petites femmes[1]. » Nietzsche trouva réellement dans le grand problème qui s’était posé à lui à l’entrée de la vie sa destinée, son malheur et son bonheur ; il l’étreignit sans jamais faiblir, il lutta corps à corps contre lui, comme Israël avec son Dieu. Et quand la folie vint clore sa vie consciente, il chantait victoire… N’est-ce pas là, après tout, une destinée belle entre toutes ?


IV


Nietzsche n’est pas seulement un penseur : il est aussi un artiste ; et le sens artistique est aussi précoce et aussi profond chez lui que l’instinct scientifique et religieux. C’est la musique, dont le goût était héréditaire dans sa famille, qui l’attirait surtout. Tout enfant déjà il s’enthousiasmait pour les grands classiques de la musique allemande, pour Bach et Beethoven, Mozart et Haydn,

  1. W. V, 276.