On a souvent et avec raison noté les variations de la pensée de Nietzsche aux diverses périodes de sa vie ; on a étudié l’évolution de ses idées, constaté les étapes successives qu’il a franchies avant d’arriver à la conception définitive de son idéal. Lui-même avait conscience de ces changements et s’est comparé parfois à un serpent qui mue. Il savait qu’en quittant le paisible asile de la foi, il allait affronter des aventures sans nombre : la vie lui apparaissait désormais non plus comme un devoir, comme un fait ou comme une illusion, mais comme une matière à expériences entre les mains du chercheur[1]. Il se regardait comme un aventurier sans cesse occupé à guerroyer et pour qui les défaites sont aussi instructives que les victoires ; ou encore comme un grimpeur de rochers, toujours prêt à se risquer sur les pentes les plus périlleuses, et qui, sans trêve ni repos, monte toujours plus haut de cime en cime, changeant sans cesse d’horizon, résolu à ne jamais s’arrêter, à braver le froid, et les précipices, et la solitude où souffle l’âpre vent des neiges, à pousser toujours plus loin, toujours plus haut.
Ainsi Nietzsche, qui définissait la vie « ce qui toujours doit se dépasser soi-même », estimait que le changement était un élément essentiel de son existence. Mais n’oublions pas, toutefois, que sa vie a aussi son unité grandiose. Elle est dominée tout entière par le même instinct, par cette volonté d’être sincère avec soi-même toujours et à tout prix. Elle est consacrée tout entière à l’examen d’un seul problème : « Quel est pour l’homme, quel est pour moi le sens de la vie, étant donné que Dieu n’est pas ? » Et ce problème, Nietzsche y a appliqué tout ce qu’il y avait en lui de force vive et d’énergie virile : « L’impersonnalité n’a de valeur ni sur terre ni dans le ciel, dit-il
- ↑ W. V, 243