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aucun plaisir aux choses qui enthousiasmaient ses compatriotes et qu’inversement des entreprises qui lui paraissaient capitales pour le progrès de la culture européenne — par exemple le projet grandiose de Richard Wagner de créer à Bayreuth un théâtre modèle — n’éveillaient pas le moindre intérêt chez eux. Aussi, lorsque au printemps de 1873, il crut, avec Wagner et tous ses amis, que l’œuvre de Bayreuth allait définitivement échouer devant l’apathie du public, il éprouva un irrésistible besoin de rompre en visière à ses contemporains, de leur crier à haute et intelligible voix l’expression de son aversion et de son mépris. Ce fut l’origine des Considérations inactuelles[1].

La première des Inactuelles est dirigée contre le célèbre critique David Strauss et contre le livre dans lequel il avait condensé ses opinions sur la religion et la civilisation, L’ancienne et la nouvelle foi, en particulier contre la seconde partie de ce livre, où l’auteur expose l’idéal qu’il se fait de la société future. En réalité, Nietzsche s’attaquait moins à la personne et à l’œuvre même de Strauss, qu’à la foule de ses admirateurs qui voyaient dans la profession de foi du grand homme vieillissant le dernier mot de l’esprit de progrès. L’ennemi qu’il prend à partie, c’est le philistin — non plus le philistin honteux de l’être ou le philistin bon enfant et gemüthlich, mais le philistin satisfait de lui-même, qui se pique de culture, le Bildungsphilister, comme il le baptise, et dont il voit

  1. Outre les quatre Inactuelles qu’il a publiées de 1873 à 1876, Nietzsche en projetait un grand nombre d’autres, qui n’ont pas été achevées ou dont le contenu a passé dans Choses humaines par trop humaines. Au tome X des Œuvres, nous trouvons une série d’esquisses pour des Inactuelles intitulées : « La ville », « Le chemin de la liberté », « L’État », « Lire et écrire », et surtout une étude très poussée sur « Nous autres philologues », où nous trouvons déjà en germe plusieurs des idées qui seront développées plus tard dans Zarathustra.