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Vers le début de 1872, après la publication de la Naissance de la tragédie, l’amitié du jeune philosophe pour le grand artiste atteignit son plus haut point d’exaltation, « J’ai conclu une alliance avec Wagner, écrivait-il vers ce moment à un de ses amis ; tu ne peux imaginer le degré de notre intimité, et combien nos projets concordent[1]. » Dans son désir de prouver son attachement non pas seulement par des paroles mais par des actes, il fut sur le point, au printemps de cette même année, d’interrompre sa carrière de professeur pour entreprendre une tournée de conférences au profit de l’œuvre de Bayreuth. Le départ de Wagner pour Bayreuth (avril 1872) ne changea en rien ses relations avec lui : Nietzsche vint à diverses reprises le voir dans sa nouvelle résidence et assista, en particulier, à la fête artistique donnée le 22 mai 1872 à Bayreuth le jour où fut posée la première pierre du théâtre Wagner. En juillet 1876, il venait à Bayreuth, sur l’invitation pressante du maître, écouter les répétitions de la Tétralogie et assister au triomphe définitif de la grande œuvre de réforme de l’art dramatique entreprise par Wagner. Peu de jours avant son arrivée, il adressait à ses amis un exemplaire de sa quatrième Inactuelle, Richard Wagner à Bayreuth, une analyse pénétrante et lumineuse de la personnalité artistique et morale de Wagner et une apologie enthousiaste de la grande œuvre réformatrice qu’il avait menée à bien. Il définissait Wagner un Eschyle moderne en qui la sagesse « tragique » s’exprimait, non plus comme chez Schopenhauer, sous une forme philosophique, mais sous la forme vivante et concrète d’œuvres d’art incomparables. Il voyait en lui un génie « dionysien », qui ne pouvant exprimer par le seul langage

  1. Mme  Förster-Nietzsche, Ouvr. cité, II. I. p. 263. Pour tous les détails biographiques sur l’intimité de Nietzsche et de Wagner nous renvoyons à ce livre. Voir en particulier, t. I, p. 72 s., 74 s. 135, 277, 288 ss. ; t. II, I. p. 13 ss., 201 ss.