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Bayreuth ; on trouve dans ses esquisses[1] nombre d’idées qui seront développées plus tard dans le Cas Wagner. Il note ce qu’il y a de démesuré dans le caractère et les dons de Wagner et trouve qu’en Bach et Beethoven se montre à nous « une nature plus pure », il lui échappe des jugements sévères sur la vie politique de Wagner, sur ses relations avec les révolutionnaires ou avec le roi de Bavière, sur son antisémitisme ; il a des doutes significatifs sur la valeur de Wagner non comme artiste « intégral » mais comme spécialiste, c’est-à-dire comme musicien, poète, dramaturge ou même comme penseur ; il signale en lui certains « éléments réactionnaires » : la sympathie pour le moyen âge et le christianisme, les tendances bouddhistes, l’amour du merveilleux, le patriotisme allemand ; il se montre sceptique sur le degré d’influence réelle que la réforme de Wagner peut exercer en Allemagne. En résumé Nietzsche, tout en protestant qu’il est redevable à la musique de Wagner « du bonheur le plus pur, le plus lumineux qu’il ait jamais goûté », se montre nettement hérétique en matière de wagnérisme à l’instant même où, publiquement, il couvre Wagner de fleurs. Comment expliquer cette duplicité apparente ?

Nietzsche lui-même nous a donné la clef de sa conduite : « Nous croyons d’abord un philosophe, observe-t-il à propos de ses relations avec Schopenhauer. Puis nous disons : s’il se trompe dans la manière de prouver ses affirmations, ces affirmations sont vraies cependant. Enfin nous concluons : ses affirmations elles-mêmes sont indifférentes, mais la nature de cet homme vaut cent systèmes. Comme maître enseignant il peut avoir cent fois tort : mais sa personnalité même a toujours raison : c’est à cela qu’il faut nous en tenir. Il y a dans un philosophe quelque chose qui ne sera jamais dans une philosophie : la

  1. W. X, 397-425.