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système de Schopenhauer, il ne veut ni de la résignation ni du nihilisme philosophique ; il pousse le scepticisme jusqu’à méditer « sur la vérité et le mensonge considères à un point de vue extra-moral » et la conclusion de ses réflexions, c’est qu’il condamne la philosophie de la « sagesse désespérée » qui veut la vérité à tout prix, dût-elle sacrifier l’existence même de l’humanité à la science et préconise la « sagesse tragique » qui, après avoir nié toute métaphysique, « met la connaissance au service de la plus belle forme de la vie », restitue à l’art les droits que prétend lui enlever la science, et conclut à la nécessité pour l’homme de a vouloir l’illusion[1] ». — Sur Wagner le jugement de Nietzsche n’est pas moins libre. En 1866, il trouve que, dans la Walküre, des défauts énormes compensent de merveilleuses beautés[2]. Au cours de ses études préliminaires pour la Naissance de la tragédie il esquisse, pour expliquer l’intervention du chœur dans la IXe symphonie de Beethoven, une théorie qui contredit absolument celle de Wagner[3] ; une autre fois il oppose à la conception wagnérienne du drame musical une conception radicalement différente ; il voudrait faire descendre le chanteur dans l’orchestre de manière à ne conserver sur la scène qu’une action simplement mimée : les voix humaines et l’orchestre commenteraient cette action mimée, qui serait, comme dans la tragédie primitive, la réalisation scénique d’une vision apollinienne du chœur saisi par l’esprit dionysien[4]. Les doutes de Nietzsche se font plus graves encore à l’époque où il travaille à R. Wagner à

  1. Ueber Wahrheit und Lüge im aussermoralischen Sinne. — Der Philosoph. — Die Philosophie in Bedrängniss. W. X, 161 ss. ; voir en particulier, p. 204 s.
  2. Lettre du 11 oct. 1866 citée par Mme Förster-Nietzsche, I, p. 250.
  3. W. IX, 137 ss.
  4. W. IX, 155 ss.