Wagner, vit dans le ressentiment de son maître une marque de petitesse de caractère, d’étroitesse d’esprit. Et s’il garda, tout au fond du cœur, pour l’homme privé, malgré la divergence de leurs opinions, la plus sincère affection personnelle, il ne se crut plus tenu à aucun ménagement envers l’homme public dont il combattait les idées, et n’hésita pas, quelques années plus tard, à lancer contre son ancien ami ces pamphlets passionnés dont le retentissement a été si considérable : Le cas Wagner (1888) et Nietzsche contre Wagner (composé en 1888).
La conduite de Nietzsche envers Wagner a été, comme de juste, très diversement jugée. Les partisans du maître se sont en général montrés fort sévères et, à mon sens, aussi fort injustes pour le renégat du wagnérisme : ils ont attribué la défection de Nietzsche à des calculs d’ambition, à des froissements de vanité ou surtout à un commencement de dérangement mental. Leurs jugements peuvent, en général, se résumer ainsi : Jusqu’en 1876 Nietzsche a été l’homme qui a le mieux compris Wagner ; son Inactuelle sur l’œuvre de Bayreuth est la plus belle analyse du génie wagnérien qui ait jamais été faite. Mais ce grand esprit, qui promettait de devenir un penseur éminent, a été saisi d’une sorte de vertige maladif qui l’a poussé à rompre avec toutes les croyances les plus sacrées de l’humanité et aussi avec le sens commun, à s’exagérer démesurément son importance individuelle ; et ce vertige, finalement, l’a conduit à la folie. — Inutile de dire que je repousse absolument cette manière de voir qui a le défaut d’expliquer le développement intellectuel de Nietzsche à l’aide d’une psychologie vraiment trop sommaire et trop simpliste ; de ce qu’il ait combattu très sincèrement Wagner après l’avoir non moins sincèrement admiré, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il ait été un fou ou un malhonnête homme ; c’est du moins ce que j’ai tâché d’expliquer. Mais d’autre part les amis de Nietzsche, qui