ont eu l’incontestable mérite de mettre en lumière les véritables motifs de ses actes, cèdent peut-être à la tendance d’innocenter un peu trop leur client. Il s’est trompé dans son admiration sur Wagner ; c’était son droit et l’on a dit depuis longtemps qu’il n’y a que Dieu et les imbéciles qui ne changent pas. Mais allons plus loin : étant donnée la nature exacte de ses sentiments pour Wagner en 1876. devait-il écrire R. Wagner à Bayreuth sur le mode dithyrambique qu’il a choisi ? Ici déjà il est permis île se demander s’il n’y a pas eu — je ne dis pas dissimulation — mais imprudence de la part de Nietzsche ; beaucoup de gens jugeront qu’il est étrange de parler sur ce ton d’un maître qu’on se sent sur le point de quitter. Et ensuite : Nietzsche ayant écrit Wagner à Bayreuth avait-il le droit d’écrire plus tard le Cas Wagner ? Sur ce point aussi les avis seront partagés, comme ils le sont, d’ailleurs, sur la valeur de toute la morale de Nietzsche en général. Il a été logique avec lui-même — cela est hors de doute — en attaquant Wagner avec autant d’énergie qu’il l’avait admiré ; il a fait à sa sincérité intellectuelle le sacrifice le plus grand qu’il soit possible de concevoir ; il lui a immolé non sans douleur mais sans faiblesse l’une des plus fortes affections qu’il ait connues. Mais nombre d’adeptes de la « vieille morale » trouveront que ce sacrifice n’a rien d’admirable ; ils estimeront que Nietzsche a été « personnel, » — autrement dit égoïste — d’un bout à l’autre de ses relations avec Wagner : que dès l’abord, au lieu de se donner à son éducateur, il s’est cherché lui-même au contact de Wagner ; qu’ensuite, une fois qu’il eut reconnu son erreur sur Wagner, au lieu de sacrifier quelque chose de ses convictions personnelles, il préféra faire à son moi le sacrifice de la fidélité due à l’amitié. Encore une fois cette manière d’agir est non seulement inattaquable, mais fort belle si la vie humaine a pour but unique le développement de la personnalité de génie et
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