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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

Le vieux manoir de Grüningen, où désormais Novalis se montre visiteur toujours plus assidu, apparaît à son imagination de poète comme une sorte d’Éden où il se promène en plein rêve d’amour et de félicité sentimentale. « Un singulier et merveilleux hasard, écrit Novalis à une demie sœur de Sophie, m’a introduit dans un cercle de famille où j’ai trouvé ce que je cherchais, où je trouverai ce que j’osais à peine espérer. Ce que la naissance m’avait refusé, le sort me l’a donné. Ce que je n’ai jamais trouvé au foyer paternel, je le trouve ici rassemblé dans un milieu étranger ». En comparaison de l’austère demeure piétiste où s’était écoulée sa jeunesse, Grüningen lui semble un paradis où règne la paix et la joie. Dans le seigneur du lieu, le baron de Rockenthien, il voit le type du gentilhomme campagnard gai et heureux de vivre, toujours prêt à plaisanter, toujours plein d’entrain au travail comme au plaisir. Sa femme, jeune encore, dans sa beauté épanouie, avec son « visage d’ange », entourée de ses filles dont plusieurs déjà mariées, respire aussi l’allégresse et la cordialité. Il n’est pas jusqu’à l’institutrice française, Mlle Danscour, autrement dit « Ma chère », la confidente de tous les petits secrets de cœur de cette jeunesse, qui ne contribue pour sa part à égayer, en y mettant une note humoristique, ce tableau si riant, — elle qu’en un jour de liesse on avait baptisée, pour ses sympathies révolutionnai-