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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

vers le sanctuaire de son bonheur passé, vers la « bonne tombe » où dort l’aimée. On comprend les oscillations de sa vie intérieure que note le journal, les instants d’extase et d’enthousiasme où, devant le tombeau de Sophie, il sent les siècles couler comme des instants et perçoit la proximité immédiate de sa fiancée, les moments de sérénité, de courage, de détachement, puis aussi les accès de détresse, d’attendrissement, de tiédeur ou encore ces crises d’angoisse qui surviennent périodiquement et se multiplient au fur et à mesure du développement, chez lui, de la tuberculose.

Mais la mort de Sophie ne signifiait pas seulement pour lui la fin d’un beau rêve, la séparation d’avec un être aimé. Elle avait pour lui un sens plus grave encore. Nous venons de noter l’association intime qui s’était faite chez Novalis entre sa vie sentimentale et sa vie religieuse. La catastrophe qui le frappait dans ses plus chères affections, atteignait ainsi du même coup les bases de son existence spirituelle tout entière. Novalis était pénétré d’une foi idéaliste profonde. Il tenait la foi pour une activité miracuculeuse par laquelle nous pouvons à tout instant faire des miracles pour nous et pour ceux qui ont confiance en nous, pour une faculté d’illusion qui par la pensée agit sur le réel, qui par le mécanisme de la suggestion est douée d’une efficacité biologique. Il croyait, comme le raconte Just, que « ce que l’homme veut,