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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

fants fidèles, et ses jardins, vers sa somptueuse demeure ! »

Et voici que le poète, se détournant de la lumière et de ses pompes, plonge son regard dans le gouffre béant de « la nuit sainte, ineffable, mystérieuse ». Lue mystique ivresse, soudain, lui monte au cœur.

« As-tu donc, ô sombre Nuit, toi aussi un cœur d’homme… Tu n’es redoutable qu’en apparence.— Un baume précieux tombe goutte à goutte de la gerbe de pavots que porte ta main. En une douce ivresse tu déploies les ailes alourdies de l’aine, et tu nous donnes des voluptés obscures et ineffables, mystérieuses comme toi — des voluptés qui sont un pressentiment du ciel. Combien pauvre et enfantine me semble à présent la lumière et son univers diapré. Combien désiré et béni le départ du Jour. Ainsi donc — c’est parce que la Nuit détournait de toi tes serviteurs que tu semas à travers l’immensité de l’espace les astres étincelants afin de proclamer ta toute puissance et ton retour, au temps de ton absence. Plus célestes que les étoiles qui scintillent dans l’immensité du ciel nous paraissent ces yeux infinis que la Nuit ouvre en nous : ils voient plus loin que les plus pâles d’entre ces astres innombrables ; sans qu’il soit besoin de lumière, ils pénètrent dans les profondeurs d’un cœur aimant… »

Si le royaume du Soleil est l’univers des phénomènes, le royaume de la Nuit est la vision mystique