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LE RETOUR À LA VIE

même. Nul doute qu’il n’ait été attiré vers Julie surtout par ce besoin d’amour qui l’avait hanté toute sa vie, et qui était exaspéré encore par la maladie qui le minait. Nul doute d’ailleurs, non plus, qu’il n’ait pas senti ce nouvel amour comme une infidélité à la mémoire de Sophie. Son amour pour sa première fiancée était en effet devenu une « religion ». Sophie restait présente à son cœur alors qu’il aimait Julie, et cet amour sacré sanctifiait l’amour nouveau du poète. Il aimait Julie en Sophie, comme l’époux chrétien aime son épouse en Dieu. Il aimait donc sans remords et sa conscience ne lui reprochait ni une trahison, ni même une défaillance. Mais ce qui jette comme une ombre mélancolique sur cette idylle suprême, c’est que, comme la première, elle semble avoir reposé sur un mirage. Notre mystique croyait avoir trouvé une âme sœur, une amie « qui l’aimait comme jamais encore il n’avait été aimé ». Or il était tombé tout simplement sur une très pratique petite bourgeoise en quête d’un épouseur. Lorsqu’elle s’aperçut que son fiancé s’en allait de la poitrine, Julie manœuvra d’abord pour se ménager la possibilité d’une rupture. Ce n’était pas héroïque, mais c’était humain et, après tout, excusable. Ce qui l’est moins, c’est que lorsqu’elle eut compris que la mort de son amant allait lui épargner la nécessité d’une démarche brutale, elle se hâta, toujours pratique, de jeter les bases