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62 WAGNER A PARIS

au lieu de le garder pour lui, il voulait le présenter au public. » Un tel drame devrait être conçu comme Shakespeare concevait ses tragédies. Il ne suffirait pas d'écrire pour les actrices des gentillesses musicales propres à faire valoir leurs moyens vocaux. La voix humaine est un instrument incomparablement plus beau que tous ceux de l'orchestre : il faudrait arriver à la traiter avec autant d'indépendance que ceux-ci, à créer une musique vocale comme il y a aujourd'hui une musique instrumentale. « Les instruments représentent l'organe primitif de la création et de la nature ; ce qu'ils expriment ne peut jamais être déterminé clairement ni fixé avec précision, car ils reproduisent les sentiments primordiaux tels qu'ils sortirent du chaos initial de la création, alors qu'il n'y avait peut être même pas encore des hommes pour les ressentir dans leurs cœurs. Il n'en est pas de même de la voix humaine : elle représente le cœur humain avec ses impressions définies et individuelles. Son caractère est, par suite, limité, mais clair et précis. Mettez maintenant ces deux éléments en présence, unissez-les ! En regard des sentiments primitifs, sauvages, tendant à une expansion infinie que représente l'orchestre, placez le sentiment clair et précis que représente la voix humaine. Par son entrée en scène, ce second élément exercera une action bienfaisante et conciliatrice sur la lutte des sentiments primordiaux ; elle donnera à leur flux un cours déterminé et concordant. Le cœur humain à son tour, en s'assimilant ces impressions primitives, se trouvera infiniment élargi et fortifié ; il deviendra capable de percevoir clairement en lui- même l'intuition jusque-là imprécise de ce qu'il y a de plus sublime au monde : il prendra conscience du divin » (i).

(l) Ges. Schr, I, 109-111. — Voir aussi une étude Sur l'Ouverture, Ges.