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Regne Animal.

par leur ſolidité, leur réſiſtance ; le Nez ſaiſit les objets volatils par leur impreſſion ſur les nerfs olfactifs ; la Langue goûte les objets ſolubles par la ſenſation qu’ils font ſur ſes fibres ; ils ſont agréables, permis, ou ſalutaires ; rebutans, défendus, ou nuiſibles.

La police de la Nature ſe manifeſte par l’enſemble de ſes trois Regnes ; car de même que les peuples ne naiſſent point pour ceux qui leur commandent, mais que ceux-ci ſont établis pour le maintien de l’ordre parmi leurs ſujets, ainſi à cauſe des végétaux naiſſent les animaux frugivores, à cauſe des frugivores les carnivores, & de ceux-ci les grands pour les petits, & l’homme (comme animal) pour les plus grands & pour tous, quoique principalement pour lui-même, afin que par la domination néceſſairement deſtructive & oligarchique de l’un ſur l’autre, la proportion, l’équilibre des choſes naturelles ſe maintiennent, avec la ſplendeur de la république de la nature. Tous les citoyens de cette république s’uniſſent tour à tour à faire éclater la majeſté de l’Être raiſonnable, de l’homme, qui leur commande, & qui de ſon côté doit avoir pour premier but ſa reconnoiſſance envers le ſuprême législateur.

Comme l’eau s’augmente de ſources en ruiſſeaux, de ceux-ci en rivieres, & de rivieres en fleuves & ſe rend ainſi par eux à la mer, la république naturelle remonte auſſi d’un peuple très-nombreux d’animaux à un plus petit nombre d’une condition plus relevée, de ceux-ci à un très-petit de grands animaux, & ſe termine à l’homme, leur ſouverain ; en même tems que les plus petits animaux, preſque infinis en nombre, en force, en puiſſance ſont deſtinés à l’uſage des animaux plus grands, plus inertes, plus impoſans ; & certes la Nature n’eſt jamais plus tout ce qu’elle eſt, que dans les plus petites choſes.

Il y a autant de Ministres de cette police, attachés à des fonctions particulières, qu’il y a d’eſpeces d’animaux, ils ſont engagés à remplir leurs offices par leur propre avantage, puiſqu’ils doivent à leur travail leur ſuſtentation, afin que rien ne manque, où il n’y a rien de ſuperflu. Toutefois pour que l’un ne s’ingere point de la beſogne de l’autre, & ne dérobe ainſi à quelqu’un ſa part du lucre commun, la peine capitale eſt infligée par la loi du venin, (c’eſt-à-dire, que ſouvent ce qui fait la nourriture de l’un, eſt du poiſon pour l’autre) promulguée aux ſens mêmes, ſur-tout de l’odorat & du goût ; pour que les tranſgreſſeurs n’aient point d’excuſe.