Page:Linné - Système de la nature (1793).djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
Les Brutes. Odobène.

Il habite les mers d’Afrique & d’Amérique, particuliérement à l’embouchure des fleuves, qu’il remonte très-ſouvent, s’éloignant peu du rivage. Sa longueur eſt de huit à dix pieds, la largeur de ſix à ſept pieds, ſon poids de cinq à huit cens livres. Peau d’un noir-cendré. Dents molaires au nombre de neuf de chaque côté des mâchoires, quarrées, couvertes d’une écorce verniſſée. Vertèbres au nombre de cinquante.

v. b. Le Lamantin Boréal. Trichechus manatus Borealis.

Sans poil ; pieds dépourvus de doigts & d’ongles.

Il habite le rivage occidental de l’Amérique, & des îles ſituées entre l’Amérique & le Kamtſchatka. Il remonte auſſi très-fréquemment l’embouchure des fleuves. Il a vingt-trois pieds de long & peſe huit mille livres. Sa peau eſt brune lorſqu’elle eſt fraîche ; deſſechée, elle eſt noire. Un os ridé de chaque côté des mâchoires au lieu de dents molaires. Vertèbres au nombre de ſoixante.

Les ſauvages de l’Amérique l’apprivoiſent ſouvent[1] ; il aime la muſique ; c’eſt le Dauphin des anciens. Il eſt très-vorace & mange ſans ceſſe. Le mâle, la femelle & leurs petits vivent en ſociété. Ils ſont monogames & s’accouplent au printems, la femelle fuyant d’abord le mâle en faiſant dans l’eau divers tournoyemens ; elle ſe renverſe ſur le dos pendant le coït. Lorſque l’animal paît l’herbe des bas fonds & qu’ainſi la partie ſupérieure de ſon corps paroit à découvert, les oiſeaux s’y abattent pour y chercher de la vermine. Il mugit comme le bœuf. Sa vue eſt foible, mais il a l’ouie d’autant plus aiguë. Pieds antérieurs palmés preſque comme

  1. Gomara hiſt. gen. cap. 31. raconte qu’on en avoit élevé & nourri un jeune dans un lac à Saint Domingue pendant vingt ſix ans, qu’il étoit ſi doux & ſi privé qu’il prenoit doucement la nourriture qu’on lui préſentoit, qu’il entendoit ſon nom, & que quand on l’appelloit, il ſortoit de l’eau & ſe trainoit en rampant juſqu’à la maiſon pour y recevoir ſa nourriture ; qu’il ſembloit ſe plaire à entendre la voix humaine, & le chant des enfans, qu’il n’en avoit nulle peur, qu’il les laiſſoit aſſeoir ſur ſon dos & qu’il les paſſoit d’un bord du lac à l’autre ſans ſe plonger dans l’eau & ſans leur faire aucun mal. Ce fait, ajoute M. de Buffon, ne peut être vrai dans toutes ſes circonſtances, car le Lamantin ne peut abſolument ſe traîner ſur la terre.